Forum - La télédétection : un outil de suivi de la désertification

La télédétection : un outil de suivi de la désertification

La télédétection est un outil d’observation spatiale qui permet l’étude et le suivi de sites à différentes échelles. Le  site test de Menzel Habib en Tunisie présaharienne a fait l’objet d’observations répétitives depuis 1970 (projet CAMELEO, Changes in Arid Mediterranean Ecosystems on the Long term and Earth Observation / Changements dans les écosystèmes méditerranéens arides sur le long terme et observation de la Terre, 1997-2001).

Parmi les sites qui ont fait l'objet de recherches sur la désertification en Afrique, celui de Menzel Habib dans le sud de la Tunisie fait l'objet d'observations continues depuis les années 1970, particulièrement par la communauté scientifique française et francophone et ses pionniers dans cette thématique. Ce site a fait l'objet d'expériences de suivi par télédétection, et d'une étude récente sur les indicateurs écologiques à long terme, il est un des observatoires du programme ROSELT.
Avec des précipitations annuelles très irrégulières comprises entre 100 et 200 mm, la région de Menzel Habib dans le sud de la Tunisie est constituée de sols sableux et sablo-limoneux couverts d'une steppe à ligneux bas, typiques des régions arides de la bordure nord du Sahara.
Sous l'influence conjuguée d'une période de sécheresse et de la mise en cultures de terres jusqu'alors réservées aux parcours, cette région a connu des phénomènes de désertification particulièrement intenses durant les années 1980. Ils ont été combattus par un programme de lutte contre la dégradation des terres et l'ensablement.
Des méthodes de surveillance par télédétection ont été testées et développées dans cette région notamment dans le cadre de programmes de recherche euro-méditerranéens tels que le projet CAMELEO. Hormis les reliefs qui bordent cette plaine, portant des sols squelettiques sur des roches sédimentaires dures, presque tous les sols sont développés sur des matériaux éoliens, loess péri-désertiques et sables fins, enrichis en éléments solubles hérités des dépôts gypseux et salés sous-jacents. La matière organique y est très peu abondante, mais de faibles quantités liées à l'activité biologique de surface donnent une certaine cohésion aux sables (croûtes algales, par exemple). La végétation naturelle est dominée par les buissons bas ligneux (chaméphytes) et des plantes annuelles se développent rapidement après les pluies qui surviennent majoritairement en hiver. À cela s'ajoute les cultures annuelles (orge et blé dur), et l'arboriculture (avec une densité de plantation très faible). La végétation n'est donc verte qu'une partie de l'année, le plus souvent les premiers mois, et elle est globalement très peu couvrante. Les sols dominent à la surface.

1-L’approche scientifique développée sur ce site.

L'utilisation des images de télédétection a été fondée sur l'établissement des relations entre les caractéristiques des sols et de la végétation composant les surfaces observées au sol et la réponse spectrale de ces surfaces mesurée par les capteurs optiques des satellites. Ainsi sur le terrain, à la description écologique de l'état de la surface (composition et organisation du sol, nature de la phénologie, abondance de la végétation) ont été associées des mesures des valeurs de réflectance réalisées avec un instrument portable. Il a été ainsi démontré que, dans cette région, l'indice de végétation est mal corrélé avec le couvert végétal global. Le taux de couverture végétale (indicateur très important pour le diagnostic de la désertification rendant compte de l'abondance des plantes pérennes ligneuses) affecte globalement l'intensité du signal. Sur un sol donné, une steppe plus dense apparaît donc plus foncée sur l'image satellite (lien avec l'albédo). De plus, comme la végétation est généralement peu couvrante, les mesures de réflectance sont très fortement influencées par les propriétés des sols, et en particulier leur couleur. Un indice de coloration dérivé des mesures dans les bandes spectrales visibles a été proposé : plus il est élevé, plus les sols sont colorés (sable par exemple) et des valeurs faibles correspondent à des sols grisâtres (gypses par exemple). Ainsi, ces deux critères, albédo et couleur, ont été utilisés pour suivre l'évolution de l'état des surfaces dans le temps et diagnostiquer les tendances.

 

2-Suivi de l'évolution des sols et de la végétation.

Lorsqu’une étude se situe à l’échelle d’une région, les images à haute résolution s’imposent. Une série d'images Landsat a été acquise sur la plaine de Menzel Habib (steppe sableuse), une image par année et lorsque cela a été possible à la même saison pour minimiser les différences de réflectance dues aux variations de la hauteur du soleil. Les images de printemps ont été préférées pour saisir la végétation au moment de son maximum. Pour les rendre comparables, elles ont été corrigées du point de vue de la géométrie (rendues empilables pixel à pixel) et de la radiométrie (valeurs des pixels converties en réflectance au sol pour chaque image).
Les photographies ci-contre illustrent le résultat de quatre années (1976, 1989, 1993,1999) où les différences sont particulièrement contrastées. La combinaison des deux types d’images Landsat MSS plus anciennes et Landsat TM plus récentes permet de couvrir une période de 23 ans. Les images sont représentées en composition colorée standard (« fausses couleurs ») où la végétation verte apparaît en rouge. Deux photographies de terrain ci-contre représentant une steppe sableuse dans un état « normal » et « dégradé » viennent compléter cette illustration. La dégradation par diminution du couvert végétal se traduit dans ce cas par une mobilisation du sable (ensablement).

3-Synthèse cartographique de l'évolution du milieu.

L’observation de séries d’images, si elle permet de composer un « film » des différents états des surfaces, ne suffit pas à définir les tendances à long terme et à diagnostiquer la désertification ou la restauration du milieu. L’analyse doit porter sur une série suffisamment longue et dégager une synthèse en termes de tendances, en tenant compte des variations climatiques. Pour déterminer ces tendances à long terme, plutôt que de se focaliser (comme dans beaucoup d’essais de suivi de la désertification) sur la biomasse qui est trop faible ici pour que ses variations soient aisément détectables, c’est l’état des surfaces en général qui doit être surveillé à long terme.
En utilisant les indices de brillance et de coloration pour ces surfaces à faible couvert végétal, complétés par l'indice de végétation pour distinguer les couverts les plus actifs, chaque image est classée selon une légende très simple basée sur le type de sol et la densité du couvert végétal. Le pourcentage occupé par chacune de ces catégories a été suivi en fonction du temps pour diagnostiquer l'évolution du milieu (stabilité, dégradation ou amélioration).

4-Transposition de cette méthode à d’autres contextes.

Cet exemple dans le sud-tunisien illustre l'utilisation des images satellitaires pour la surveillance d'une région steppique sableuse. La désertification sévit aussi dans d'autres milieux tels que le sud du Sahara où elle se manifeste différemment, par la raréfaction des ligneux par exemple. Le suivi par satellite doit donc tenir compte des caractéristiques écologiques des milieux surveillés et s'appuyer sur la connaissance des processus sur le terrain. C'est la condition indispensable pour pouvoir interpréter les changements d'états de surface et pour diagnostiquer l'état : dégradation, stabilité ou restauration des milieux. La multiplication des satellites et des capteurs augmente la densité et la diversité des informations acquises depuis l'espace. L'enjeu est alors d'exploiter cet ensemble au mieux pour une surveillance précise au meilleur coût, alimentant des systèmes d'alerte précoce qui seuls intéressent vraiment les gestionnaires des territoires concernés.

 


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